La santé communautaire dans l’actualité de l’EHESP ; point de vue sur un article

C’est avec une réelle satisfaction que j’ai lu l’article publié par le Quotidien du Médecin du 4 octobre 2023, signé d’Elsa Bellanger et dont le titre est « Pr Isabelle Richard-Crémieux et Éric Breton (EHESP) : « La greffe entre santé primaire et prévention est en train de prendre »

Et l’introduction m’a mis en appétit. Approche aux contours parfois mal définis en France, la santé communautaire mêle soins primaires, prévention et promotion de la santé. Si elle peine encore à s’imposer dans l’hexagone, un virage s’amorce, expliquent la Pr Isabelle Richard-Crémieux, directrice de l’École des hautes études en santé publique (EHESP), et Éric Breton, chercheur en promotion de la santé.

Pour avoir récemment eu l’occasion d’apporter mon modeste concours à une formation de l’EHESP, j’étais curieux de connaître et comprendre la place accordée à la santé communautaire par la directrice de cette prestigieuse école, et d’un de ses professeurs qui m’a fait confiance pour y intervenir homéopathiquement, et pour apporter quelques réflexions ou propositions depuis longtemps portées, notamment avec l’Institut Renaudot

Si comme le dit en ouverture cet article « Approche parfois mal définie en France », la santé communautaire est depuis des décennies ou définie, ou caractérisée par nombre d’auteurs ou d’associations. Définie et souvent bien définie, mais par contre mal reconnue ce qui est autre chose.

« En France, on utilise plutôt le terme d’action locale en santé » pour définir la santé communautaire dit d’emblée Eric Breton. Non, objection votre Honneur ! action locale et démarche communautaire sont deux sujets différents ; même si la démarche communautaire se concevant comme une action, une démarche de proximité, est donc pertinente dans les actions locales de santé.

Si comme il est dit dans l’article que « L’origine remonte à la déclaration d’Alma-Ata », c’est surtout en 1986, la conférence de l’OMS à Ottawa qui fait de la santé communautaire un des 5 éléments structurants de la promotion de la santé.

Si comme le dit Eric Breton « Le but était de pointer l’absence de prise en compte des besoins locaux dans le développement des soins de santé et la nécessité d’intégrer, à l’échelon local, des éléments de prévention, de promotion de la santé, de protection sanitaire. », le but principal, essentiel de la santé communautaire, telle que promue à Ottawa, c’est de rendre les citoyens acteurs de leur santé.

« La démarche implique un minimum de mobilisation de la population et elle est beaucoup appliquée dans les pays hispanophones ou africains. Un des éléments pour renforcer la capacité d’une population à agir est sa participation ». Pour ceux qui ont engagé depuis des décennies tant le plaidoyer que la mise en œuvre des démarches communautaires en santé, celles-ci reposent sur leur capacité à impliquer dans la conception même des projets puis dans leur mise en œuvre et leur évaluation, l’acteur essentiel qu’est l’habitant-usager-citoyen.

« La pandémie de sida a réveillé la France sur la question de l’action locale en santé. » La pandémie du sida a surtout montré à l’époque les limites des connaissances médicales et des professionnels du soin, et l’importance, alors vitale, de la mobilisation des patients eux-mêmes. Un pas important en démarche communautaire était alors franchi, toujours porté aujourd’hui dans ses pratiques sur les questions du Sida et autres pathologies ou problématiques par l’association Aides.

Pour le Professeur Isabelle Richard-Crémieux : Il peut être utile de souligner que le terme « santé communautaire » est un faux ami en français. En français, le terme ne recouvre pas la dimension locale qu’il a en réalité. On parle ainsi d’action locale en santé »

Il faut se réjouir que depuis quelque temps déjà le terme de santé communautaire est utilisé par nombre d’acteurs. C’est le cas de certaines Agences Régionales de Santé qui financent des projets s’appuyant sur des démarches communautaires, de certains experts de santé publique (voir le récent dossier « La Santé d’après » dans le numéro 498 de juin 2023 de la revue Esprit, de divers associations nationales ou locales, de centres ou maisons de santé.

Le choix de retenir le terme déjà ancien, et largement utilisé dans le monde (Belgique, Espagne, Suisse, Afrique, Amérique du Sud…) tient à la dimension très globale et ambitieuse de ses caractéristiques : idée du collectif, idée de santé globale, idée d’implication de tous les acteurs dont les citoyens, idée de partage des pouvoirs et de savoirs, idée de proximité), tous éléments qui distinguent sensiblement la démarche communautaire que des termes que d’aucuns voudraient lui substituer.

Une question importante est posée est posée aux interviewés : Beaucoup d’initiatives affichent une dimension communautaire. Comment faire le tri ? Quels critères retenir ?

Eric Breton explique par plusieurs exemples les conditions pour que l’on puisse parler de démarche communautaire.

On ne peut qu’approuver cette préoccupation nécessaire de mieux identifier ce qui constitue – ou pas – une démarche communautaire.  Avec le financement de la Communauté européenne, un collectif de trois pays (Belgique, Espagne, France, en lien avec le Québec) a élaboré 8 repères pour caractériser les démarches communautaires.[1] S’ils peuvent être complétés, corrigés, progressivement appliqués, ces repères ont le mérite de donner une lecture de la dimension globale de la santé communautaire. La prise en compte par les divers acteurs de santé, les établissements de formation, d’une définition, et des caractéristiques ou repères des démarches communautaires en santé est un enjeu majeur pour leur développement. (mise en œuvre, formation, évaluation).

Pr I. R.-C. : Je vois trois obstacles au développement de cette démarche en France aujourd’hui : la centralisation, avec des règles d’organisation identiques à Paris, Lille ou Marseille, et peu d’espace pour l’initiative ; le caractère hospitalo-centré du système de santé ; et le paiement à l’acte. Conjugués, ces éléments ne sont pas favorables au développement d’une santé communautaire. Mais les trois sont enracinés dans l’histoire du pays et difficiles à modifier sans remous.

L’observation, l’accompagnement des démarches communautaires permet de nuancer ou de compléter le propos du Professeur Richard-Crémieux.

Les obstacles au développement des démarches communautaires sont divers. Le premier est celui de la vision médico-centrée de la santé. La santé c’est le docteur. Ce n’est que récemment que le rôle du patient-expert, en l’occurrence en éducation thérapeutique a été reconnu et admis. La santé publique elle-même s’est longtemps réduite au champ du soin et de la prévention.   

Le second obstacle est celui de la démocratie en santé. Un pas a été franchi avec la loi de 2002, mais alors réservée aux droits des usagers. La parole, l’intervention du citoyen sont encore largement contrôlés, et la santé communautaire qui appelle à cette implication citoyenne est donc regardée avec circonspection.

Le 3ème obstacle, lié aux précédents, qui freine le développement est l’insuffisante inscription de la santé communautaire dans les projets associatifs, institutionnels, dans les projets des collectivités territoriales, dans les programmes des diverses institutions de formation (dont l’EHESP)  

Heureusement qu’un certain nombre d’associations ont su dépasser les obstacles et mettre en œuvre des démarches communautaires en santé. L’observation rigoureuse de ces actions permettrait d’en mesurer les nombreux et bénéfiques effets (dépistage du cancer du sein, monkeypox, soins de santé primaires…) ; et heureusement que certaines institutions aient décidé de s’appuyer sur les démarches communautaires pour favoriser la bonne mise en œuvre de leurs projets de santé (Ile de France, Pays de la Loire, Mayotte, Nouvelle Calédonie, Ateliers Santé Ville, Contrats locaux de santé, Conseil locaux de santé mentale…).

A la question « Développer la santé communautaire en France impliquerait-il de créer de nouveaux métiers et de nouveaux rôles ? Eric Breton répond : Une enquête sur des CLS menée en Bretagne et en Pays de la Loire montre l’émergence de nouveaux métiers de coordination. Ces compétences ne sont pas forcément reconnues par le système et restent mal valorisées et mal rémunérées.

Dans d’autres pays rompus à la stratégie et aux démarches en santé communautaire ont créé des formations et des emplois spécifiques : infirmier en santé communautaire, animateur communautaire.

Ce qui paraîtrait plus adapté dans le contexte français, pour permettre ou l’émergence ou le développement de démarches communautaires en santé, c’est de créer des formations en santé communautaire dans les établissements de formation des professionnels de santé, mais également dans les champs du social ou de l’éducation. Sans doute également de prioriser les formations en santé communautaire auprès de publics plus à même, par leurs missions ou postures, d’en favoriser la mise en œuvre (coordinateurs divers, médiateurs, associations, etc…), ou comme le dit Eric Breton « le besoin de profils capables de mobiliser les acteurs et les populations locales. »

 A la question « L’utilisation du terme « aller vers » par les politiques traduit-elle une prise de conscience de l’intérêt d’une approche communautaire ? » Eric Breton répond « On ne peut qu’approuver. C’est la réponse à une meilleure lecture des ressources spécifiques qui peuvent être nécessaires. C’est aussi la reconnaissance d’un gouffre entre l’offre de services publics et ce à quoi la population accède. »

Dans une perspective de santé communautaire l’aller vers est une étape, mais une étape seulement. L’enjeu, et c’est faut-il le rappeler au cœur de la démarche communautaire, est aujourd’hui de faire avec. C’est l’association ATD qui a su montrer dans sa pratique, ses résultats que même avec les publics les plus fragiles, leur pouvoir d’agir, leur implication sont possibles et essentielles à la promotion de la santé.


[1] Repères des démarches communautaires en santé 

  1. Concerner une communauté 
  2. Favoriser l’implication de tous les acteurs concernés dans une démarche de co-construction et d’empowerment individuel et collectif
  3. Favoriser un contexte de partage de pouvoirs et de savoir
  4. Valoriser et mutualiser les ressources de la communauté
  5. Mettre en place un processus d’évaluation partagée et permanente pour permettre une planification souple
  6. Avoir une approche globale et positive de la santé
  7. Agir sur les déterminants de santé  
  8. Travailler en intersectorialité

Dr Marc SCHOENE
Président
d’Honneur

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