Une nouvelle étape pour la santé communautaire en France ?

Pour toutes celles et tous ceux qui sont engagé·es dans des démarches communautaires, envisagent de s’y engager, ou ont depuis longtemps contribué par de multiples actions à promouvoir la santé communautaire, il est de bonne perspective, que depuis quelque temps – la crise du Covid et les difficultés rencontrées par notre système de santé y sont pour beaucoup – l’intérêt, l’encouragement à la prise en compte de la santé communautaire s’expriment de plus en plus largement.

C’est ainsi qu’en Pays de la Loire, l’Agence Régionale de Santé, qui dès son second plan régional, marquait déjà son intérêt pour la santé communautaire, a inscrit dans son projet de 3ème Plan Régional de Santé (PRS3), soumis à consultation réglementaire jusqu’en octobre 2023, une définition et des propositions pour encourager le développement des démarches communautaires en pays ligérien.[1]

3ème Projet régional de santé (PRS3) – Extraits consacrés à la santé communautaire et à la place des « usagers » du système de santé :

Orientation stratégique 1 : La santé dans toutes les politiques favorisant la réduction des inégalités de santé

  • Objectif opérationnel n°1 : Soutenir l’engagement des acteurs dans une dynamique de prévention et promotion de la santé.

Il existe une méthode éprouvée qui fédère l’ensemble des acteurs et bénéficiaires sur un territoire dénommée santé communautaire.

Une démarche communautaire en santé désigne toute initiative ou action de personnes, associations, communautés de territoire visant à apporter une solution collective et solidaire à un problème de santé. Elle contribue à exercer un plus grand contrôle sur les facteurs de santé, à améliorer la santé et réduire les inégalités sociales de santé, dans une démarche de co-construction favorisant l’implication de tous les acteurs concernés, le partage de pouvoirs et de savoirs, l’intersectorialité en mettant en place un processus d’évaluation partagée permanente.  

Sous-objectif n°2 : Encourager et coordonner la mobilisation de tous les acteurs en contact avec les publics cibles à agir en prévention et promotion de la santé, précisant que les Partenaires sont (notamment) les acteurs ressources en prévention et le Collectif Santé Communautaire des Pays de la Loire.

Orientation stratégique 2 : Le citoyen, l’usager, acteur de sa santé et de son parcours

Sous-objectif n°1 : Favoriser l’émergence de projets de prévention associant ou portés par les usagers ou leur entourage en renforçant leur pouvoir d’agir (empowerment).

Argumentaire spécifique à ce sous objectif : La promotion de la santé passe par le renforcement de l’action communautaire, incluant la possibilité pour les individus et les groupes de participer aux décisions, d’apporter une solution collective et solidaire à un problème ou à un besoin commun sur leur territoire (association des femmes dans les campagnes locales du dépistage du cancer du sein…).

Les déclinaisons :

Favoriser l’implication des usagers (et de son entourage) et leur autodétermination par leur montée en compétence (ex : sensibilisation ou formation…)

Favoriser l’émergence de projets de prévention associant ou portés par les usagers ou leur entourage en renforçant leur pouvoir d’agir (empowerment).

  • Objectif opérationnel n°2 : Renforcer la prise en compte de la parole de l’usager, ses attentes et ses besoins dans un contexte de fragilisation de notre système de santé, d’une territorialisation de nos politiques, pour plus ou mieux répondre aux besoins de santé de la population dans une logique de réduction des inégalités de santé, il convient désormais de conforter et renforcer la participation de l’usager sous toutes ses dimensions.

Faire de la promotion de la santé une priorité parce que c’est le processus qui confère aux populations les moyens d’assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé et d’améliorer celle-ci (OMS, Conférence d’Ottawa, 1986) et renforcer le pouvoir d’agir des habitants, des citoyens et particulièrement renforcer l’action communautaire, promouvoir une approche populationnelle et communautaire en santé qui permet une participation effective et concrète de la communauté aux décisions concernant sa santé.

Les résultats attendus : L’usager ou son représentant sait que ses besoins et attentes ont été entendus, pris en considération. Les décisions prises le concernant sont adaptées à ses besoins. L’usager a eu accès aux informations lui permettant de comprendre voire d’agir. Il est un acteur éclairé de son parcours de santé. Les usagers ou leurs représentants sont associés à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation des politiques de santé, des dispositifs ou des organisations qui se mettent en place et se construisent. L’usager est plus impliqué dans son parcours de santé et dans les politiques de santé territorialisées. L’usager est plus vigilant concernant sa propre santé. Les relations entre l’usager et les professionnels sont plus fluides. Les patients, la population, les soignants et les élus sont alignés et travaillent ensemble, ce qui favorise la pertinence des prises de décisions, leur adaptation aux besoins des habitants. De ce fait, des gains d’efficacité sont ressentis et observés. (…) Le deuxième défi est de développer la participation des personnes concernées dans une logique de co-construction.

Quelques remarques à la lecture des extraits du PRS3 :

L’inscription de la santé communautaire dans le PRS3, chacun le mesurera, est importante, en ce qu’une Agence de l’Etat inscrit cette stratégie majeure de promotion de la santé dans ses objectifs.  

Sans préjuger des discussions qui se font et se feront sur le PRS3, et plus particulièrement les parties consacrées à la santé communautaire, il est intéressant de relever, d’une part que, fortement présente sur les orientations promotion, prévention, inégalités, la santé communautaire est regrettablement absente dans les orientations stratégiques 3 et 4 consacrées à l’autonomie et l’organisation des soins, et d’autre part, que plus que du seul usager évoqué dans le texte du PRS3, c’est bien aussi de l’implication de l’habitant-usager-citoyen que la démarche communautaire est promotrice.

Dans le chapitre consacré à la stratégie de l’action communautaire de l’ouvrage La promotion de la santé, Comprendre pour agir dans le monde francophone[2], les auteurs distinguent l’action communautaire de l’’organisation communautaire, qui elle, serait une intervention de soutien professionnel en appui aux actions communautaires. C’est clairement ici le cas pour l’inscription de la santé communautaire par une ARS dans un Projet Régional de Santé.

Cette distinction entre action et organisation paraît utile, et opérationnelle pour distinguer le rôle d’une Agence régionale de santé, positionnée comme « organisatrice communautaire » c’est-à-dire facilitatrice et soutien en termes de moyens d’actions communautaires, et non comme animatrice ou intervenante directe dans des actions communautaires en santé.

Cette contribution « follow-down » (de haut en bas !) d’une Agence régionale de santé peut être tout à la fois un réel encouragement, une facilitation aux démarches communautaires en santé « bottom-up » (de bas en haut !), c’est-à-dire venant des associations, et d’acteurs de terrain, et une prise en compte dans les pratiques et projets de l’ARS de la prise en compte des principes de la stratégie de santé communautaire.

Revue Esprit. La santé d’après. – n° 498, Juin 2023 – Extraits

Le second écho favorable à la santé communautaire se trouve dans le très intéressant dossier spécial de ce numéro de la revue Esprit.

De différents articles de ce dossier émergent fortement plusieurs sujets, et, outre celui de santé communautaire, ceux du Politique, de la Prévention, du Territoire, de la Promotion de la Santé (« One health »), et de l’Ecologie ; autant de sujets devant structurer, selon leurs auteurs, les perspectives de nouvelles politiques de promotion de la santé.

De par leurs liens forts entre eux, seront repris ci-dessous des extraits d’articles de ce dossier, non seulement relatifs à la santé communautaire, mais au Politique, au Territoire, à l’Ecologie et à la promotion de la santé.

Yann Bubien, Anne Dujin – Introduction  – pp. 34-36 :

La santé peine encore à se constituer en débat public.(…)

Mais, comme le suggère l’un des auteurs de ce dossier, cette approche ambitieuse appelle immanquablement à retourner la formule : s’il faut davantage de santé dans les politiques, c’est peut-être qu’il faut davantage de politique dans la santé. 

Luc Ginot, Amélie Verdier. – La fabrique territoriale de santé – pp. 50-54 :

  • Faire du territoire un espace de co-construction.

Deux principes d’action font aujourd’hui consensus : la progression de l’état de santé des populations passe par la participation des habitants ; cette participation se met en jeu idéalement à l’échelle locale : le fameux « penser global, agir local ».

A partir de là, deux points méritent précision. D’abord, ne pas réduire la notion d’habitants à celle d’usagers. D’une part, tous les habitants ne sont pas usagers du système de soins. D’autre part, assimiler les habitants aux seuls acteurs de la démocratie sanitaire conduit par ailleurs de facto à sur-représenter le point de vue des personnes les mieux insérées et les plus familières du débat public, reflétant d’ailleurs une structuration des pathologies représentées non neutre ; c’est d’autant plus fréquent qu’on se situe à un niveau géographique plus vaste, où la formalisation institutionnelle prend le pas sur des échanges moins codifiés. Surtout, en inscrivant leur « savoir profane » dans une logique territoriale, les habitants peuvent peser tout autant sur les déterminants de santé que sur l’organisation des soins : c’est un des enjeux du plaidoyer en santé publique qui permet de porter ensemble promotion et prévention en santé.

Le deuxième élément est que, défini à une échelle pertinente, le cadre territorial permet de donner une ampleur nouvelle à la contribution de la société civile, plus ou moins structurée dans un cadre associatif. Ainsi, durant la crise de la Covid, a-t-on vu émerger des formes spontanées de lutte contre l’épidémie et ses conséquences, telles les portages alimentaires pour des populations ne sortant plus de chez elles, souvent avec une motivation sanitaire explicite (accès à des produits frais), l’intervention d’associations locales pour le port des masques, ou la mobilisation des bailleurs sociaux pour la vaccination. Autant de pratiques nouvelles qui « font santé publique », à l’échelle territoriale de la vie quotidienne : elles ont vocation à être reconnues et pérennisées par des moyens ad hoc. On rejoint ici, comme par la médiation en santé, la notion de santé communautaire développée par l’Organisation mondiale de la santé notamment ; veillons à ce que les avancées de la crise du Covid ne soient pas effacées.

  • Quelle place pour le politique ?

(…) Pour le décideur comme pour le citoyen, peser sur les transports, les espaces publics ou l’habitat, pour qu’ils soient plus favorables à l’équité en santé, nécessite notamment à l’échelle d’une intercommunalité ou d’une région un savoir précis et modélisé sur les mécanismes d’impact sur la santé. Or, il n’est pas toujours produit ou disponible.

Rémy Slama. – L’environnement, les maladies et le système de santé – pp. 66-67

Une réponse permettant de modifier cette situation [celle du rapport entre budget soins et budget prévention ; MS], est celle de « la santé dans toutes les politiques ». Elle est définie par l’Organisation mondiale de la santé comme une « approche intersectorielle des politiques publiques qui tient compte systématiquement des conséquences sanitaires des décisions, qui recherche des synergies et qui évite les conséquences néfastes pour la santé, afin d’améliorer la santé de la population et l’équité en santé ». Elle est notamment mise en avant dans la Stratégie nationale de santé, pilotée depuis Matignon. Si les estimations faites dans le cadre de la loi de finances sont correctes, l’injonction de mettre la santé dans toutes les politiques n’a pas encore été bien entendue.

(…) il s’agirait de commencer par accepter que la santé fasse davantage de politique

Laurie Marrauld, Raphaël Yven. – Eco-santé – p. 75

Une nouvelle éthique de la santé publique

(…) Ce cheminement urgent et complexe ne pourra pas se faire sans les citoyens. La description et la gestion des besoins de santé par la population elle-même sur un territoire spécifique – qu’on nomme « santé communautaire » – pourraient, par exemple, épauler le travail de coordination des acteurs du système de santé, améliorer la détection précoce des pathologies et en prévenir de nombreuses autres. Elle serait un des moyens pour faciliter l’expression des besoins prioritaires en santé et pour accompagner la transformation écologique du système de santé.

De quelques conditions pour une nouvelle étape pour les démarches communautaires en santé

La prise en compte et la place nouvelle enfin accordées à la santé communautaire (promue rappelons-le, par la Charte d’Ottawa dès 1986 !) par au moins deux Agences Régionales de Santé, les articles qui lui sont consacrés, éléments que nous avons plus précisément relevés dans le Projet Régional de Santé des Pays de la Loire, et dans le riche dossier santé de la revue Esprit, sont incontestablement des éléments forts – un Projet Régional, des appuis experts – propices à la création de nouvelles démarches communautaires en santé en France, à l’encouragement de celles qui se mènent ou sont envisagées, et à leur développement en France.

Peut-on pour autant parler de nouvelle étape pour les démarches communautaires en santé ? C’est bien entendu l’avenir seul qui pourra répondre à cette question. Mais il paraît opportun de profiter d’une conjoncture possiblement favorable, pour proposer quelques remarques ou propositions qui ne manqueront pas d’être complétées dans les débats à venir.

  • Première remarque : Il convient selon nous d’être vigilant, et refuser que la santé communautaire soit une solution imaginée pour renvoyer vers l’habitant-usager-citoyen la responsabilité-culpabilisation de sa santé. La santé communautaire ne doit pas être une proposition politique de pis-aller pour tenter de pallier les manques, voire la réduction des moyens ou le recul du service public, dans une situation difficile en matière d’état de santé et d’offre de soins. Ce serait dénaturer le sens profond de la démarche de promotion de la santé qu’est la santé communautaire. C’est tout le sens de la référence au Politique des extraits d’articles ci-dessus.
  • Seconde remarque : Reconnaître la santé communautaire, proposer le développement des démarches communautaires, c’est bien. La nouvelle étape serait de voir se mettre en œuvre et se développer effectivement ces nouvelles pratiques en santé (et pas uniquement  à la marge), à partir des associations, ou dans les dispositifs tels que Contrats locaux de santé, Communautés professionnelles territoriales de santé, Conseils locaux de santé mentale, Conseils santé des collèges et dans d’autres lieux, Maisons et centres de santé, dans des projets et actions de santé (prévention et soins), enfin et surtout encourager, aider, parfois mieux écouter les associations et les groupes qui sont engagés dans ces démarches communautaires.

Les conditions de leur développement, outre les moyens spécifiques à leur attribuer, reposent aussi sur la prise en compte de la santé communautaire dans les divers lieux de formation, sur l’intégration de la santé communautaire comme objet de recherche et d’évaluation par les institutions ad hoc, sur la disposition sur toute la France de centres de ressources aidant à ces démarches (documentation, accompagnement, formation…).

  • Troisième remarque : La place nouvelle, mais encore limitée et fragile, accordée en France à la santé communautaire, justifie d’encourager une réelle réflexion et une vigilance sur son contenu. Parfois réduite, comme on le lit dans un des extraits d’articles cités, à la seule participation citoyenne (qui n’en est qu’un élément), la démarche communautaire est de façon particulièrement intéressante caractérisée par les repères établis par le Secrétariat européen des pratiques de santé communautaire, complétés par l’Institut Renaudot, largement repris en France et dans de nombreux pays.

Ces repères ont l’avantage déterminant en promotion de la santé et santé publique, d’intégrer dans la démarche communautaire des éléments (repères) qui se complètent les uns et les autres, et proposent un cadre d’intervention global en cohérence avec les enjeux essentiels évoqués dans les extraits de documents présentés plus haut.

Comme l’article sur « la Fabrique territoriale de santé » le souligne, « ne pas réduire la notion d’habitants à celle d’usagers », la proposition de cadre de santé communautaire tient à la notion d’habitant-usager-citoyen, qui permet un positionnement plus diversifié de l’acteur majeur des démarches communautaires.

Ces repères se résument ainsi :

  1. Travailler avec l’ensemble de la communauté, en intégrant et mettant en valeurs les différences ;
  2. Favoriser l’implication de tous les acteurs concernés dans une démarche de co-construction et d’empowerment individuel et collectif ;
  3. Favoriser un contexte de partage de pouvoir et de savoir ;
  4. Mettre en compétence tous les acteurs concernés ;
  5. Avoir une démarche de planification par une évaluation partagée, évolutive et permanente ;
  6. Travailler en intersectorialité ;
  7. Avoir une approche globale et positive de la santé.
  8. Agir sur les déterminants de santé dans une perspective de promotion de la santé.
  • Quatrième remarque : Il devient possible, souhaitable, voire attendu que, dans les projets, dispositifs, actions de santé, dans les lieux où l’organisation de la santé (soins, prévention, médico-social) est questionnée, qu’un acteur nouveau soit non plus seulement cité, ciblé ou souhaité, mais effectivement et systématiquement associé – l’habitant-usager-citoyen – contribuant ainsi immanquablement à des pratiques collectives nouvelles.

En ces moments historiques complexes, difficiles, source d’inégalités, de frustrations, de souffrances, les démarches communautaires, si elles ne peuvent pas être La solution, peuvent favoriser des approches sociétales contributives à la promotion de la santé. C’est aussi ce qu’appelle les auteurs du dossier d’Esprit, faire Politique.


[1] Cet article plus particulièrement consacré au territoire des Pays de la Loire ne traite pas de l’engagement important en santé communautaire de l’ARS Ile de France. Nos lecteurs pourront se référer à l’infolettre n°71 d’avril 2022 de l’ARSIDF consacré à la démarche communautaire en santé. https://www.iledefrance.ars.sante.fr/media/93991/download?inline

[2] Eric BRETON (dir). – La promotion de la santé, Comprendre pour agir dans le monde francophone. Rennes : Presses de l’EHESP, 2018.  Annexe 2, p. 12

Dr Marc SCHOENE
Président
d’Honneur

Categories: Éditos