Marc Schoene au titre du groupe de travail qu’il préside sur cette problématique majeure des inégalités sociales de santé pour la CRSA Nathalie Bonvillain, en tant que directrice de la Maison de la Prévention, personne morale adhérente à l’institut Renaudot, pour présenter l’expérience du travail de la médiatrice santé, un métier nouveau qui participe à garantir l’accès aux droits et développer l’autonomie des personnes vulnérables.

Le 10 décembre 2018, la Déclaration universelle des droits de l’Homme aura 70 ans.

À cette occasion, la CRSA et l’Espace éthique Île-de-France vous invitent au colloque « Droits de l’Homme, vulnérabilités et inégalité dans l’accompagnement et le soin ».

Qu’en est-il de la transposition de cette « première charte universelle d’éthique » dans les choix et dans les pratiques ?

En quoi éclaire-t-elle l’exercice des responsabilités assumées au service de personne en situations de vulnérabilité et en attente de sollicitude, de solidarités et de compétences ?

En quoi les valeurs promues par la Conférence Régionale de la Santé et de l’Autonomie s’enracinent-elles dans la tradition des droits universels de l’Homme ?

En quoi ces principes éclairent-ils ses engagements et ses préconisations à l’Agence Régionale de Santé ?

Comment mieux connaître et comprendre ces enjeux à partir d’expériences et d’expertises de terrain qui incarnent et défendent les valeurs d’humanité promues par la Déclaration ?

Comment tirer pour le futur des principes et des lignes d’action nous mobilisant autour d’une résolution morale et politique à mettre en œuvre au quotidien ?


Lutter contre les inégalités

La Conférence Régionale de Santé et de l’Autonomie d’Ile de France, s’est dotée, dès 2013, à l’initiative de son président Thomas Sannié, en plus de ses commissions spécialisées statutaires, d’un groupe de travail permanent, chargé de travailler sur les inégalités sociales (et territoriales) de santé.

Pour des raisons d’éthique, et dans le cadre strict de mes responsabilités dans l’animation du groupe de travail, mon propos s’appuiera scrupuleusement sur le contenu du travail mené par le groupe et la CRSA.

C’est donc aussi sur les deux articles de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1948, qui concernent directement le travail mené à ce jour par notre groupe, que j’interviendrais, en m’appuyant sur les objectifs et questions posés pour ce colloque.

Les deux articles de la Déclaration universelle de 1948 qui concernent directement le groupe de travail inégalités sociales de la CRSA sont les suivants :

Article premier
” Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. “

Article 25
” Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté.(…) “

Je souhaite préciser que mon propos ne se situe pas dans une lecture historique ou juridique de la Déclaration de 1948, qui aurait pu évoquer le parcours, en 70 ans, des droits de l’Homme, en en interrogeant les évolutions ou… les involutions. C’est une présentation d’une partie des travaux de la Conférence régionale de santé et de l’autonomie d’Ile de France, en résonance avec le cadre de notre colloque sur les droits universels proclamés en 1948, que j’interviens.

Le droit est une chose, son application en est une autre. C’est bien autour de la question de l’effectivité des droits humains en 2018, et plus particulièrement de certains d’entre eux, que la CRSA s’est mobilisée sur le sujet des inégalités sociales de santé.

Certes, par les textes, toute personne a droit « à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires » Le rappeler aujourd’hui, à l’occasion des 70 ans de la proclamation des droits universels, est salutaire, nécessaire, à condition, comme l’écrit dans un bel article, fort inquiétant et exigeant, Kumi Naido, secrétaire général d’Amnesty International, dans le Monde diplomatique de ce mois de décembre 2018, que nous ne « nous contentions pas d’une célébration ».

Si l’ARS et la CRSA ont mis l’objectif de réduction des inégalités sociales (et territoriales) de santé comme une priorité majeure, c’est que, malgré la qualité de notre système de santé, de profondes inégalités sociales d’accès aux soins et à la prévention, qui loin de se réduire se creusent, et concernent massivement les franciliens.

Les inégalités sociales de santé ne concernent pas, comme il est encore trop souvent proclamé, les seules catégories dites fragiles de la population, mais selon un gradient, et à des degrés divers, l’ensemble du spectre de la société, même si touchant plus gravement les populations les plus défavorisés.

« Si [par nos interventions] nous ciblons seulement les 10 % les plus pauvres, nous passons à côté de l’essence du problème que sont les inégalités sociales de santé ». (Marmot, 2009).

La région Ile-de-France est la région de France métropolitaine la plus inégalitaire ou les riches sont les plus riches, les pauvres, les plus pauvres. Ces inégalités sociales ont des répercussions abyssales sur la santé. Au fur et à mesure que l’on descend l’échelle sociale les problèmes de santé se sont de plus en plus prégnants. Faut-il encore le rappeler 7 années d’espérances de vie séparent les hommes actifs catégories sociales les plus élevées de celles les plus basses, inégalités qui s’accentuent encore dans les populations les plus précaires. Ces inégalités s’expriment territorialement, c’est également 7 années d’espérance de vie qui différencie les cantons franciliens les plus riches des plus pauvres. Les ISS s’installent dès la conception, elles s’expriment à la naissance et se cumulent tout au long de la vie si rien n’est fait pour les combattre. Obésité, état dentaire dégradé des enfants sont fortement différenciés selon la catégorie sociale dès le plus jeune âge et à l’âge adulte l’incidence et la mortalité des maladies chroniques comme l’’obésité diabète maladies cardiovasculaires BPCO, certains cancers sont régis par ce gradient social. Pour on se situe bas dans l’échelle sociale plus la vie est courte et plus elle est vécue en mauvaise santé et en incapacité : une double peine en quelque sorte.

En Ile de France, région la plus riche de d’Europe, où les scores de santé sont souvent meilleurs que ceux de France entière, 6ème puissance économique mondiale, les inégalités sociales et territoriales n’en sont que plus préoccupantes et inacceptables.

Nous savons aussi que la santé (soins prévention, couverture sociale, système de santé, ne contribuent que partiellement à la Santé/Bien-être. Le droit à la santé est donc intimement lié aux droits les plus divers. C’est la raison pour laquelle le groupe inégalités sociales de santé de la CRSA a ouvert une réflexion sur un des déterminants majeurs de la santé qu’est le domaine de l’aménagement et de l’urbanisme, travail mené en lien avec les services de l’ARS.

En portant son attention sur l’intervention en santé dans la proximité, et le développement des démarches communautaires en santé, le groupe inégalités et la CRSA ont lié fortement la question de la réduction des inégalités avec l’indispensable mobilisation de tous les acteurs de la communauté (ville, quartier, bassin de vie, groupes de populations).

La Conférence régionale de santé d’Ile de France a inclus, dans l’avis qu’elle a porté sur le projet régional 2, la nécessité de faire de la réduction des inégalités sociales de santé un objectif majeur, qui soit fortement inscrit dans la procédure d’évaluation qui l’accompagnera. Pour contribuer à cet objectif majeur de réduction des inégalités sociales de santé, la CRSA d’Ile de France a adopté une « feuille de route » en 5 points, simple mais exigeante, à vocation d’être largement diffusée à tous les acteurs contribuant chacun à son échelle à la promotion de la santé en Ile de France.

Je n’en citerais que le premier point : énoncer – dans tout programme, projet, action de santé, mais aussi dans l’ensemble des pratiques professionnelles des acteurs de santé, l’objectif recherché de réduction des inégalités sociales de santé , et la manière dont on pense l’atteindre, ainsi que le risque de production d’inégalités et les moyens de les prévenir.

La CRSA attend que cette feuille de route, évoquée dans le projet régional de santé, soit effectivement prise en compte dans son intégralité par l’Agence Régionale de Santé d’Ile de France.

Cette feuille de route est aussi une réponse concrète à la question d’avenir posée par notre colloque-anniversaire… :
« Comment tirer pour le futur des principes et des lignes d’action nous mobilisant autour d’une résolution morale et politique à mettre en œuvre au quotidien ? »

Que pour chaque action, chaque projet de santé, la réduction des inégalités sociales de santé, soit un de ses objectifs, documenté, et soumis à évaluation régulière. Que les autorités de santé se donnent les moyens de l’accompagnement effectif des acteurs et des projets contribuant à la réduction des inégalités sociales de santé, et veillent, sous différentes formes, au plaidoyer pour des politiques publiques n’aggravant pas les inégalités sociales de santé, ou les réduisant significativement.

En 2018, et sans doute à la lumière des événements que nous vivons actuellement en France, pour promouvoir les droits de l’Homme, et en favoriser l’effectivité, le plaidoyer, et surtout la mobilisation et les actions les plus diverses sur les inégalités sociales de santé, sont de pleine actualité !

Docteur Marc Schoene
Animateur du groupe inégalités sociales de santé
de la Conférence Régionale de Santé
et d l’Autonomie d’Ile de France